Les travaux de la conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale : un point d’étape
par Alexandre DELSAUX – Lucie GAL-ONG – Marina OLIVEIRA – Roxanne STEYAERT, Master 2 Administration internationale, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, promotion 2020-2021
Si les États côtiers exercent leur souveraineté sur les ressources minérales et biologiques de leurs eaux territoriales et de leurs zones économiques exclusives (ZEE), les fonds marins situés au-delà des juridictions nationales, reconnus comme patrimoine commun de l’humanité, ainsi que la haute mer sont soumis à un régime juridique spécial.
Deux principaux instruments internationaux de protection de l’environnement régissent actuellement ces zones : la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982 et la Convention sur la diversité biologique (CDB) de 1992. Néanmoins, ces textes ne permettent pas une protection efficace de ces espaces marins, notamment face au développement des activités dans ces zones et aux nouvelles menaces émergentes.
Le régime juridique créé par la CNUDM privilégie le principe de la liberté dans la haute mer et dans la zone internationale de fonds marins, où les États n’exercent pas leur juridiction. Parallèlement, la CDB consacre le principe de la souveraineté des États sur leurs ressources biologiques, y compris la biodiversité marine, en déterminant qu’ils doivent la protéger, mais reste silencieuse sur la protection environnementale dans les zones au-delà des juridictions nationales.
De plus, bien que la CDB établisse cette logique de protection de la biodiversité, elle précise également que son application doit être conforme aux droits et obligations du droit de la mer. Ainsi, la difficulté à assurer la protection de la biodiversité marine dans ces zones découle notamment des problèmes d’articulation de ces deux instruments.
C’est dans cette perspective que se déroulent, au sein des Nations Unies, depuis 2015, les négociations visant à l’adoption d’un traité contraignant traitant spécifiquement de ce sujet. Cependant, ces négociations, qui devaient aboutir en 2020, semblent avoir pris du retard, un retard aggravé par le contexte pandémique actuel qui met en péril l’avancée future de ces négociations.
1. Retour sur le processus de négociations
Bien que l’idée d’adopter un nouvel instrument visant spécifiquement la protection de la biodiversité marine au-delà des juridictions des États soit ancienne, remontant aux années 2000, la première démarche concrète du processus de négociation vers un instrument concernant ce sujet a été la création en 2004 d’un groupe de travail informel ad hoc pour étudier les questions relatives à l’utilisation et la conservation durable de la diversité biologique marine des zones situées hors de la juridiction nationale. Lors de ses réunions, le groupe a identifié des lacunes dans le régime existant et soulevé la possibilité de créer un accord multilatéral juridiquement contraignant dans le cadre de la CNUDM.
Le plaidoyer en faveur d’un nouvel instrument juridique contraignant sur la protection de la biodiversité marine au-delà des limites de la juridiction des Etats est issu d’une alliance inattendue d’Etats. En effet, l’Union européenne et la Norvège, mus par une volonté de protéger l’environnement, ont mis leurs forces en commun avec le Groupe des 77, composé d’Etats en développement plus intéressés par les questions économiques liées aux ressources génétiques que par l’environnement. Il est à noter que les petits Etats insulaires, notamment les îles Fidji, Tuvalu ou encore la Barbade, jouent également un rôle moteur dans ces négociations, qui représentent un enjeu important pour eux.
A l’inverse, d’autres États se montrent beaucoup plus réticents à l’idée d’adopter un texte juridiquement contraignant. Ce groupe comprend principalement des Etats non parties à la Convention des Nations-Unies sur le droit de la mer (CNUDM), comme les Etats-Unis, la Turquie, la Colombie ou encore l’Iran. Cependant, des Etats parties à la CNUDM comme la Fédération de Russie, la Chine, le Canada ou le Japon paraissent également hostiles à l’adoption d’un traité sur la protection de la biodiversité au-delà des limites de la juridiction des Etats en mer tout en participant au processus de négociations.
En juin 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies a donc entériné la décision d’élaborer un tel instrument et adopté la résolution 69/292 qui crée un comité préparatoire chargé d’examiner les différentes questions relatives à ce thème et de tenter de dégager des pistes de consensus. Les recommandations soumises par le Comité, à leur tour, serviront de base pour les négociations inter-étatiques.
Le 31 juillet 2017, le Comité a rendu son rapport final qui met en exergue quatre thèmes de négociations capitaux et une série de points n’ayant pas pu faire l’objet d’un consensus entre les États qui participaient à ces discussions préalables. Le rapport rappelle également que ces divergences devront faire l’objet d’une analyse approfondie pendant la conférence. Après les travaux menés par le Comité, l’Assemblée générale a adopté, le 24 décembre 2017, la résolution 72/249, convoquant une conférence intergouvernementale chargée d’examiner les propositions et d’entamer les négociations devant mener à l’adoption d’un instrument juridiquement contraignant. Pour atteindre son objectif, la résolution 72/249 définit les étapes de la procédure en vue d’un nouvel accord. Quatre sessions de travail étaient initialement prévues : du 4 au 17 avril 2018, du 25 mars au 5 avril, 2019, du 19 au 30 août 2019, et au premier semestre de 2020.
Les négociations ont déjà permis à Madame Rena Lee (Singapour), présidente de la conférence, de présenter un avant-projet d’accord qui a été discuté lors de la troisième session de travail. Toutefois, de nombreuses divergences entre les États ont marqué les échanges et plusieurs questions sensibles auraient dû être discutées lors de la dernière session. Cependant, en raison de la pandémie de Covid-19, la quatrième session a été reportée par la Décision 74/543 de l’Assemblée générale du 11 mars 2020.
À ce stade, il semble encore difficile de déterminer si les États arriveront à trouver une solution sur ce que contiendra l’instrument final. De plus, la prolongation de la crise sanitaire rend la tenue même de la quatrième session au second semestre de 2021 encore plus incertaine alors que le processus de négociations en droit de la mer présente des spécificités qui le rendent particulièrement long et complexe.
D’ailleurs, la résolution 72/249 ne fixe pas de délai pour l’adoption de ce nouvel instrument international, recommandant seulement « d’élaborer l’instrument dès que possible ». Cette formule a fait l’objet d’un compromis entre les Etats favorables et les Etats réticents à l’adoption de ce texte. L’imprécision se retrouve dans d’autres parties du texte, notamment en ce qui concerne le Groupe de travail Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ). Le flou qui entoure ce texte permet de préserver les intérêts des Etats participants et leur laisse une marge de manœuvre dans ce processus, mais ne fournit qu’un cadre incomplet pour la négociation du futur instrument.
En outre, conformément aux techniques traditionnelles de négociations des instruments internationaux de droit de la mer, tout le processus est fondé sur le consensus. C’est devenu une pratique courante dans les conférences des Nations Unies, de parvenir à une décision par consensus, pour permettre de trouver un équilibre entre les Etats participants. Si le consensus fait défaut, la résolution prévoit que les décisions seront prises à la majorité des deux tiers des Etats présents et votants. Étant donné que de nombreux États sont réticents à adopter un texte international juridiquement contraignant, cette possibilité semble nécessaire pour éviter la paralysie du processus. Néanmoins, la prise de décision par consensus reste très critiquée car le risque est grand que le texte soit vidé de sa substance. Il est donc approprié de se demander à quel moment il serait opportun de substituer le vote au consensus afin de ne pas nuire au sens du texte et de conserver des dispositions ambitieuses.
Enfin, ces négociations ont la particularité de traiter de problèmes qui sont étroitement liés et qui doivent être envisagés dans leur ensemble. En ce sens, on parle de « package deal ». Là encore, il s’agit d’une méthode de négociation traditionnellement utilisée dans les négociations sur le droit de la mer. En effet, l’espace océanique est un tout intégré, totalement connecté, qui ne peut être pensé autrement que dans sa globalité. La méthode du package deal, permet, lors de négociations sur des sujets complexes et clivants, d’éviter qu’un désaccord sur un sujet spécifique ne compromette l’aboutissement de l’ensemble des négociations. Cette méthode repose donc sur les principes de consensus et de compromis. Mais elle comporte certaines garanties comme l’interdiction des réserves à la convention, conformément à l’article 309 de la CNUDM, afin de préserver la cohérence du texte.
Depuis le début du processus de négociations, il est prévu que le futur accord soit adopté en application de la Convention des Nations Unies pour le Droit de la mer. Cela en ferait le troisième instrument d’application de la CNUDM à être adopté, après l’accord de 1994 relatif à l’application de la Partie XI de la Convention et l’accord de 1995 concernant la gestion des stocks chevauchants.
Si cette décision semble logique en raison de la nécessité de maintenir une certaine cohérence entre les différents textes traitant du droit international de la mer, elle pose tout de même certaines questions juridiques. Ces questionnements portent principalement sur les Etats non-parties à la CNUDM. Puisque l’objectif affiché par l’Assemblée générale est l’adoption d’un instrument universel, les négociations sont ouvertes aux Etats non-parties à la CNUDM (comme les Etats-Unis, la Turquie, la Colombie ou encore le Venezuela). Or, les Etats non-parties à la CNUDM ne peuvent pas se voir imposer d’obligations ou bénéficier de droits issus de celle-ci du simple fait de leur ratification du futur accord. Ces Etats, depuis le début des négociations, sont d’ailleurs assez explicites quant à leur intention de maintenir leur statut juridique actuel au regard de la CNUDM tout en participant à l’élaboration du futur accord.
Ainsi, l’avant-projet d’accord présenté par la Présidente de la conférence à la troisième session de celle-ci, comportait une proposition d’article prévoyant que « les dispositions du présent Accord ne sont censées avoir aucune incidence sur le statut juridique des États non parties à la Convention ou à d’autres accords connexes au regard de ces instruments ». Cette formulation n’a pas fait l’unanimité. La Colombie s’est félicitée qu’un article mentionne cette problématique mais a trouvé sa formulation peu claire au regard du principe du consentement de l’Etat à être lié par une obligation.
Cette question ne semble pas présenter, à ce stade, d’obstacle majeur à la future adoption d’un accord. Cependant, il sera nécessaire de concilier deux éléments : d’une part la volonté d’harmonisation du cadre international réglementant le droit de la mer, ainsi que les liens nécessaires entre un futur accord et le cadre général posé par la CNUDM, et d’autre part, la nécessité pour les Etats non-parties de pouvoir ratifier le nouvel accord sans modification de leur statut juridique. Cette conciliation est particulièrement nécessaire afin de recueillir une adhésion aussi universelle que possible, mais ne doit pas aboutir à l’adoption d’un nouvel accord vidé de sa substance.
2. Que peut-on attendre du futur accord ?
Vingt-sept ans après l’entrée en vigueur de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, malgré des progrès considérables, de nombreuses ambitions n’ont pas encore été atteintes, en particulier dans le domaine de la protection et de la préservation du milieu marin et de la biodiversité dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale. Ces dernières années, les activités humaines dans ces zones se sont considérablement intensifiées, portant gravement atteinte à la biodiversité marine présente dans ces zones. Avec l’industrie maritime, les activités de pêche, l’exploration des ressources minérales, les conséquences et les menaces sur la biodiversité marine sont nombreuses. L’efficacité des mécanismes et dispositifs existants pour répondre à ces nouvelles menaces est donc remise en question.
Dans le texte en cours de négociation, les approches écosystémiques et intégrées pour la conservation et la gestion durable de la biodiversité marine sont fondamentales. Les objectifs poursuivis sont ainsi renforcés en s’appuyant sur les connaissances scientifiques les plus fiables. Le nouvel instrument juridique en préparation présente donc une occasion de corriger les lacunes actuelles du régime marin.
Trois aspects précis des négociations témoignent de progrès significatifs dans l’amélioration de la protection de l’environnement marin. Le premier est relatif au renforcement des capacités et au transfert des techniques marines pour prêter assistance aux Etats et promouvoir le transfert de techniques à destination des pays en développement. Deuxièmement, la gestion d’aires marines protégées et la création d’un véritable réseau de zones reliées et bénéficiant du même niveau de protection. Enfin, les études d’impact sur l’environnement de l’exploitation des ressources marines au-delà des juridictions nationales, qui permettent d’identifier et analyser les conséquences des activités économiques sur les milieux marins.
En outre, le futur accord prévoit la création d’un organe de décision, d’un organe scientifique et technique, d’organes subsidiaires et d’un secrétariat. Les modalités du fonctionnement futur de ces institutions restent à déterminer.
Les Etats participant aux négociations devront donc résoudre l’épineux problème du statut juridique des ressources génétiques marines et, plus spécifiquement, la répartition de leurs bénéfices. Les lacunes des textes antérieurs en la matière suscitent l’opposition entre les pays développés et les pays en voie de développement.
En ce qui concerne le statut juridique des ressources génétiques marines situées dans les zones au-delà de la juridiction des États, les pays plus développés, ici inclus les États-Unis et l’Union européenne, se positionnent en faveur d’un régime de libre-accès ou, au plus, d’un régime intermédiaire qui inclurait des négociations bilatérales postérieures. Cela s’explique par le grand potentiel de ces ressources qui pourraient être utilisées, entre autres, par les industries pharmaceutique et cosmétique de ces nations. Au contraire, les pays en développement, représentés notamment par les États africains, le Groupe des 77 (G77) et par la Chine, considèrent que ces ressources jouissent du statut de patrimoine commun de l’humanité, comme les ressources minières, et qu’elles ne devaient pas être soumises à une exploitation libre et démesurée. De cette manière, étendre la définition du patrimoine mondial de l’humanité aux fins de couvrir les ressources biologiques marines en haute mer serait une manière d’assurer un partage équitable des avantages découlant de leur exploitation. De plus, la question des modalités du partage des avantages fait naître des désaccords entre ces deux grands groupes d’intérêt, compte tenu du fait que les pays développés préconisent des modalités non monétaires basées sur le transfert de technologie et de connaissance au lieu de modalités monétaires.
Un autre apport du futur traité sur la protection de la biodiversité au-delà des limites de la juridiction des Etats en mer pourrait être la création d’aires marines protégées en haute mer. De telles aires protégées existent déjà, mais dans le cadre de conventions régionales de protection du milieu marin. Les quatre instruments régionaux permettant la création de ces zones sont la Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (Convention OSPAR), la Convention sur la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), la Convention pour la protection du milieu marin et du littoral de la Méditerranée (Convention de Barcelone) et le Programme régional océanien de l’environnement (PROE). L’Organisation maritime internationale (OMI) peut également créer des zones spéciales dans lesquelles certaines activités sont prohibées, telles que les « zones maritimes particulièrement vulnérables », sous l’égide de la convention MARPOL.
La difficulté qui se poserait en cas de création de nouvelles aires maritimes protégées serait donc l’harmonisation de celles-ci avec les instruments régionaux afin de ne pas créer de contradictions entre les normes à vocation universelle et les normes régionales. De plus, les Etats côtiers souhaitent que leur consentement soit nécessaire à l’établissement d’aires marines protégées adjacentes à leur ZEE ou au-dessus de leur plateau continental.
Trois mécanismes différents de création de zones marines protégées au-delà des juridictions nationales ont été proposés par les Etats. La première approche consisterait à délimiter de nouvelles aires marines protégées là où aucun instrument régional n’existe. La seconde approche, à l’inverse, reposerait entièrement sur les mécanismes régionaux. La future convention internationale se bornerait à établir des critères et directives communes afin de définir les aires nécessitant une protection, ainsi qu’à encourager la création de nouveaux instruments régionaux là où il n’en existe pas encore. La dernière proposition serait une forme de compromis. Selon celle-ci, les aires à protéger ainsi que les critères pour les définir seraient déterminées au niveau global, mais la création des aires marines protégées serait faite au niveau régional.
Les discussions portent également sur les études d’impact environnemental (EIE). En effet, l’obligation d’effectuer une EIE lorsqu’une activité présente un risque de polluer l’environnement marin de façon importante est déjà prévue à l’article 206 de la CNUDM. La Cour internationale de Justice (CIJ) ainsi que le Tribunal international du droit de la mer (TIDM) ont également affirmé la valeur coutumière de cette obligation. Cependant, cette obligation reste relativement imprécise puisqu’elle n’inclut pas de détails sur les modalités d’une telle évaluation. La détermination de celles-ci est donc laissée à la discrétion des Etats.
Ainsi, dans le cadre du futur accord, il est question de donner un contenu plus explicite à cette obligation en déterminant notamment le seuil de gravité nécessaire du dommage potentiel, l’étendue territoriale de cette obligation, une liste minimale des informations que doivent contenir les rapports d’évaluation ou encore la nécessité ou non d’évaluer les impacts cumulés des différentes activités en cours dans la zone en question.
La création d’un organe ou réseau scientifique, chargé, entre autres, de centraliser les procédures d’EIE est également en discussion. La création d’un tel organe est soutenue par l’Australie, l’Union européenne, les États-Unis ou encore la Communauté des Caraïbes et les petits États insulaires en développement du Pacifique. Cependant, la Russie maintient son refus en affirmant qu’un tel organe serait trop bureaucratique et politique. Ainsi, ces questions restent actuellement en suspens puisque des désaccords subsistent entre les Etats qui souhaitent privilégier un processus rapide et non contraignant, tel que prévu actuellement par la CNUDM, et ceux qui souhaitent la mise en place d’une procédure plus stricte et complète afin de protéger au mieux la biodiversité marine contre les effets des activités humaines.
Au cours des discussions s’est également posée la question de l’inclusion d’une référence, dans le texte, au principe de précaution, en tant que grand principe du droit international de l’environnement. L’inclusion de ce principe était défendue, notamment, par des ONG de défense de l’environnement. A ce stade des négociations, l’avant-projet présenté à la troisième session de la Conférence mentionnait le principe de précaution au titre des éléments permettant la désignation d’une zone pouvant faire l’objet de la mise en œuvre d’un outil de protection par zone. En revanche, le principe n’est pas mentionné au titre des principes généraux.
3. Les limites du processus de négociations
Dans toute conférence internationale à portée universelle visant à l’adoption d’un instrument juridique, se pose la question de la dilution du contenu de l’instrument au profit du compromis et du consensus. Le risque auquel font face les négociateurs est d’aboutir à l’adoption d’un texte vidé de sa substance par les tentatives successives de compromis. Cela résulte de la difficulté de concilier les positions d’un grand nombre d’Etats aux vues et intérêts divergents. Le concept du package deal qui impose l’adoption du texte dans son intégralité sans permettre l’adoption de certaines de ses parties de façon indépendante est également problématique à cet égard bien que nécessaire afin de conserver l’intégrité du texte final.
Certains Etats participants à la Conférence ont déjà eu l’occasion de rappeler la nécessité d’atteindre un consensus entre les différentes positions exprimées. L’Islande a appelé les Etats à faire preuve de pragmatisme car le consensus est nécessaire au bon fonctionnement du futur instrument. Les Etats-Unis, quant à eux, ont prévenu qu’un instrument « acceptable pour beaucoup » mais qui ne conviendrait pas à certaines parties « principales » ne serait pas un bon résultat. Ainsi, l’une des limites majeures du processus découle de la nécessité d’éviter le blocage de tout le processus par un État ou un groupe d’États tout en maintenant un niveau d’ambition satisfaisant au sein du texte.
Cette limite risque d’apparaître de plus en plus clairement alors que la Conférence est censée toucher à sa fin. En effet, les désaccords en train de se cristalliser donneront alors lieu soit à des compromis importants, soit à des blocages majeurs.
Une autre problématique est relative à l’efficacité d’un traité juridiquement contraignant potentiellement lié à la CNUDM, notamment quand on considère que certains États participant à la Conférence ne sont pas parties à la CNUDM. Ainsi, si d’un côté, les États-Unis, la Turquie, la Colombie et le Venezuela rappellent régulièrement qu’ils ne souhaitent pas être liées par les obligations de la CNUDM, d’un autre côté, la future convention sur la biodiversité marine au-delà de la juridiction des États doit être adoptée en tant qu’instrument d’exécution de la CNUDM.
Il incombe aux États impliqués dans les négociations de pondérer les conséquences de cet attachement pour les États qui ne sont pas signataires de la CNUDM, et, en outre, de prendre en considération son impact sur l’efficacité du traité lorsqu’il est mis en œuvre.
L’approche anthropocentrée des négociations constitue une autre limite à la création d’un régime ambitieux de protection des ressources biologiques marines. En effet, la principale question qui intéresse les Etats, et notamment les Etats en développement, est celle de l’exploitation des ressources génétiques marines et du partage de leurs bénéfices. Le statut de « patrimoine commun de l’Humanité », qui fait débat à l’heure actuelle, peut contribuer à une meilleure protection de l’environnement marin, mais il constitue avant tout un mode de répartition des ressources entre les Etats. Comme dans la plupart des instruments internationaux de protection de l’environnement, la biodiversité n’est pas protégée pour ce qu’elle est, mais pour les bénéfices que peuvent en tirer les Etats.
De plus, l’application de différentes normes juridiques aux différentes zones définies en droit de la mer, comme la ZEE et les zones au-delà des juridictions nationales, semble aller à l’encontre de la logique des écosystèmes. En effet, les espèces se déplacent librement entre ces zones et peuvent donc ne plus bénéficier de la même protection. De la même manière, il semble compliqué de définir une aire marine protégée dans la colonne d’eau située au-dessus du plateau continental d’un Etat qui pourrait y mener ou autoriser des opérations d’exploitation d’hydrocarbures par exemple.
À ces difficultés s’ajoute, enfin, celle de faire respecter les normes. Le futur accord en cours de négociation fait mention de la formule « accord juridiquement contraignant ». Pourtant, à l’issue du premier cycle de négociations, certains délégués ont pu qualifier le futur accord de « traité sur papier » comportant des dispositions ambitieuses mais dépourvu de mécanismes de contrôle ou de suivi.