L’Assemblée générale des Nations Unies
A propos de…
L’Assemblée générale des Nations Unies
Une institution politique mondiale
sous la direction de Guillaume Devin, Franck Petiteville et Simon Tordjman
(Les Presses de SciencesPo, Collection Relations internationales, Paris, 2020, 299 p.)
par
Sandra SZUREK
Présidente du Collège académique[1]
Sorti opportunément à l’occasion du 75ème anniversaire des Nations Unies[2], et malencontreusement au moment où – Covid-19 oblige -, la majestueuse salle des débats de l’Assemblée générale est restée presque vide de ses délégations. l’ouvrage semble en porte-à-faux par rapport aux graves préoccupations de notre temps. De quelle utilité peut être cette assemblée dans un contexte où le monde doit faire face, comme l’a souligné le Secrétaire général de l’Organisation, « à une crise sanitaire historique, à la plus grande calamité économique et aux pertes d’emplois les plus importantes que le monde ait connu depuis la Grande Dépression, ainsi qu’à de nouvelles menaces portant sur les droits humains »[3] Sous cet angle, la réponse semble évidente. L’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU), un des organes principaux de l’Organisation[4], est depuis longtemps largement éclipsée, dans les médias et auprès de l’opinion publique, par l’activisme d’un Conseil de sécurité dont les paralysies récurrentes jettent pourtant un dangereux discrédit sur l’ensemble de l’Organisation. Que dire dès lors de l’Assemblée générale, dont Guillaume Devin admet, en introduction à l’ouvrage, qu’une réputation d’insignifiance lui reste attachée (p.7)? Est-ce seulement « là où le monde se parle depuis 75 ans », à en croire le bandeau de couverture, ou « une institution politique mondiale » comme le pensent les auteurs? Comme les moulins, l’Assemblée générale brasse-t-elle du vent? Ou est-elle ce lieu où « se construit une communauté politique internationale » (p. 9)?
Réinvestir le champ des études sur l’Organisation des Nations Unies
En dépit de la place qu’occupe la France aux Nations Unies et d’un engagement de très longue date en faveur d’un ordre international fondé sur le multilatéralisme, la doctrine française du droit international, si l’on excepte son intérêt pour la Charte[5], a délaissé en partie les études portant spécifiquement sur l’Organisation des Nations Unies[6]. L’ouvrage de Michel Virally, L’organisation mondiale, publié en 1972 est resté sans équivalent et le restera probablement[7]. Depuis, l’ONU a pris une telle expansion qu’on imagine mal même toute une équipe – sauf à avoir des moyens très importants – pouvoir en présenter une étude scientifique d’ensemble. Le premier mérite de cet ouvrage de politistes, spécialistes en relations et organisations internationales, est donc d’investir de nouveau le champ des études sur les Nations Unies, comme l’a fait Alexandra Novosseloff en dirigeant Le Conseil de sécurité des Nations Unies entre impuissance et toute puissance (Paris, Editions du CNRS, 2016, 421p.)[8]. Son autre mérite est de s’intéresser à une institution qui, pour se donner en spectacle chaque année à l’ouverture de sa session de septembre, n’en reste pas moins largement méconnue.
Il en rend compte en douze chapitres, écrits chacun par deux – parfois trois – contributeurs, pour l’essentiel des chercheurs du GRAM. En dépit de leur nombre, l’ouvrage a de bout en bout une belle homogénéité, un style clair, parfois même vivant. Rien d’une lecture aride, au contraire. Des encadrés, consacrés à des questions plus spécifiques ( par exemple, les acteurs non étatiques à l’Assemblée générale; le terrorisme; le droit des peuples autochtones ou encore le Conseil des droits de l’Homme et les droits LGBTI), complètent la plupart des analyses, ainsi que quelques tableaux (figures) très instructifs et une bibliographie sélectionnée. Le tout en à peine 300 pages, preuve que les auteurs ont su vaillamment et brillamment résister à la logorrhée contagieuse de leur objet. La concision y va de pair avec la densité des analyses qui combinent la perspective historique – Au début était la création de l’ONU étant l’entrée en matière la plus fréquente – et l’analyse sociopolitique. Un large public de lecteurs y trouvera matière à connaissances et réflexions. On livrera donc ici autant un compte rendu de ce travail que quelques unes des interrogations et perspectives qu’il inspire.
Privilégier une approche dynamique
En dépit d’une première partie sur « l’anatomie de l’Assemblée générale », l’ouvrage n’a rien d’une monographie. On ne trouvera pas en tant que telles, une présentation et une analyse de la structure de l’organe, de ses composantes, de leur assemblage. De même on ne trouvera aucun développement spécifiquement consacré à des compétences pourtant « quasiment sans limite » (p. 11), lesquelles, comme son « anatomie », sont évoquées au gré des chapitres, avant un rappel plus étoffé dans la conclusion (pp. 282-284)[9]. A une description statique, les auteurs ont préféré une démarche dynamique montrant d’emblée l’AGNU à l’oeuvre ( intitulé qui paraît mieux indiqué que celui d’anatomie pour la première partie), puis « en débats ». Au fil de la lecture on prend alors la mesure d’un « Parlement » hors normes, où s’activent les représentants (au nombre de cinq maximum) de chacun des 193 Etats membres (51 seulement à l’origine) assistés de leurs délégations permanentes, les fonctionnaires de l’Organisation, les interprètes-traducteurs en six langues officielles, les observateurs permanents de deux Etats (le Saint-Siège et la Palestine), ceux du CICR, l’observateur privilégié qu’est devenue en son sein l’Union européenne, et la nuée d’acteurs extérieurs, en particulier les ONG, habilitées à suivre ses travaux.
L’Assemblée générale à l’oeuvre
La première partie s’ouvre sur les usages que les Etats font de l’institution et les effets politiques qu’ils en attendent, puis s’intéresse à qui la compose (chapitre 2), comment elle travaille (chapitre 3), de quoi on y parle (chapitre 4), pour voir, dans le chapitre 5, à quoi elle parvient, c’est-à-dire « produire du droit sans le pouvoir ».
Même si l’on a parfois qualifié l’AGNU de « Parlement des hommes » ou « Parlement des peuples », qu’on ne s’y trompe pas: elle est une Assemblée d’ Etats souverains, qui y siègent sur une base d’égalité: « un Etat, une voix » (article 18 par.1). Chaque nouveau venu doit s’approprier, comme le disent les auteures, les lieux, les temps, la vie de l’Assemblée suivant » un cours aussi immuable que celui de l’East River en contrebas » (p. 70), sans parler de ses codes. Au-delà de la Charte qui détermine les attributions collectives très étendues de ses membres (articles 10 à 17), la vie de l’Assemblée est régie par son Règlement intérieur qui mérite attention (p. 94), tant ce texte renseigne sur la précision avec laquelle l’activité de l’Assemblée est organisée et encadrée selon un rituel méticuleux. Cela favorise-t-il une « culture » ou un certain « état d’esprit » différent de celui qui prédominerait au Conseil de sécurité? La question vient assez naturellement[10]. Le caractère routinier de l’AGNU est souligné – et parfois dénoncé- tout au long de l’ouvrage. Dans la perspective de l’amélioration de ses travaux, en identifier ses diverses manifestations et en analyser les causes serait utile.
S’il s’arrête à ces défauts – un travail très formalisé, beaucoup de routine, et des paroles en excès, l’Assemblée générale peut irriter vivement l’observateur. Il faut passer outre et retenir plutôt que seule de son espèce à être universelle, l’Assemblée générale est d’abord une école de premier plan de « socialisation » des Etats, le seul lieu où chacun d’eux peut faire l’apprentissage des cultures et des modes de pensée de tous les autres, l’arène de confrontations d’ambitions et de frustrations à l’échelle mondiale, feutrées ou vives, qui n’excluent pas les aspirations communes. La recherche de gains individuels n’y empêche pas l’expression d’idéaux.
La revalorisation de la fonction de président, dans le cadre plus général de la « revitalisation » de l’AGNU (pp. 72-73), conduira peut-être à donner à celle-ci une visibilité et une autorité plus en rapport avec le rôle central qu’elle occupe. Doté d’un bureau et d’un budget, le président en exercice, bien qu’élu seulement pour un an, incarne l’institution, la représente et place la session sous l’égide d’un thème de son choix. Il faut noter cependant que l’originalité n’est pas toujours au rendez-vous: le président nigérian de la 74ème session (2019-2020) avait choisi « Oeuvrer ensemble, agir pour tous », bien proche du » Faire de l’ONU une organisation pour tous » de la présidente équatorienne de la 73ème session (2018-2019). Travers culturel de l’institution? L’AGNU pratique volontiers le langage plein de bons sentiments des « ambassadeurs de bonne volonté », en décalage avec ce qu’on peut attendre de l’instance politique universelle qu’elle est avant tout.
Au moins deux grandes activités occupent le temps des représentants des Etats membres: proposer des textes sur les sujets qui leur tiennent à coeur, donc les négocier et les voter. Elire les représentants ou membres de différents organes, dans un climat de campagne électorale permanente (pp. 25 et s.). Comme l’ouvrage le montre fort bien, les Etats n’agissent jamais seuls, mais en groupes, établis sur de multiples bases, géographique, régionale, politique et/ou idéologique, ou dans le cadre d’alliances de circonstances ou de regroupements de conviction. Dans le cadre des élections, les groupes géographiques déterminent la clé de répartition des sièges. Tout n’est donc que négociation, échanges de bons procédés et sans doute « renvoi d’ascenseur ». Il peut s’ensuivre une impression d’atomisation, de fragmentation de la volonté politique, quand bien même le G77 qui regroupe aujourd’hui bien plus d’une centaine d’Etats impose sa majorité sur un certain nombre de sujets. A ces difficultés s’ajoute la multiplication des lieux de négociations, la nécessaire harmonisation des positions, comme pour les Etats membres de l’Union européenne, par exemple.
Pourtant, malgré l’importance de ses compétences, l’AGNU ne dispose pas d’un pouvoir décisionnel comme la Charte en reconnaît un au Conseil de sécurité dans l’article 25 (p.7). Mais les Etats ne prendraient évidemment pas autant de temps et de précaution à négocier et à adopter des résolutions valant simples recommandations, si elles n’avaient pas plus de poids que leurs discours. Elles traduisent a minima une position qui peut leur être rappelée, sinon opposée. Elles expriment un engagement politique à tenir un comportement déterminé, et parfois la conviction qu’ils ont, dans tel ou tel domaine, de la nécessité de faire droit. S’enclenche alors un processus normatif qui pourra aboutir à l’affirmation d’une règle coutumière. Ainsi en a-t-il été avec le droit à l’autodétermination à partir de la résolution 1514 (XV) de 1960. Toutefois, en dehors des domaines où les oppositions restent marquées (droits de l’homme et désarmement), l’abus du consensus rend les positions si floues et incertaines, qu’il est difficile d’en tirer une volonté politique ferme.
L’Assemblée générale en débat
« L’Assemblée générale en débat » (deuxième partie) vient confirmer l’importance de ses activités et des sujets qu’elle promeut. Les chapitres 6 à 12 abordent ces thématiques (sécurité et maintien de la paix; développement; autodétermination; désarmement; droits humains; gouvernance économique et sociale; environnement) à la fois dans leur perspective historique, leur dimension politique et leur évolution conceptuelle. Les intitulés en soulignent avec pertinence une caractéristique ou un infléchissement essentiels. Cependant, comme l’avait montré le chapitre 4 (Première partie), les huit thèmes les plus discutés ont connu une évolution dans le temps, certains occupant une place croissante, ou stable, d’autres en baisse continue depuis 1945 (p. 94). On ne saurait ici évoquer toutes les contributions. On peut regretter parfois l’absence d’une approche juridique, comme pour l’autodétermination. Quoi qu’il en soit, il est bon d’avoir à l’esprit deux caractéristiques majeures du travail de l’AGNU: la somme de connaissances et d’expertise à laquelle elle est parvenue notamment par le pouvoir qu’elle a « de provoquer des études » (article 13 par.1), dont bénéficie l’action internationale. Et l’intelligence collective dont elle a fait preuve en adoptant des notions et des concepts en mesure de répondre aux besoins de la société internationale (notion de développement durable, concept de responsabilité de protéger, par exemple). On est alors très loin d’une impression d’insignifiance.
On réalise cependant sans peine la charge de travail que représente l’ensemble du processus délibératif, sur des thématiques aussi vastes, susceptibles de bien des approches. Si le principe « un Etat, une voix » fait bien du vote de La Barbade l’égal de celui de la Chine, les Etats ne sont pas sur un pied d’égalité quant à leur capacité à être actifs sur tous les sujets. Malgré quelques aménagements techniques pour y pallier, l’inégalité est réelle. Dans toute assemblée, la maîtrise de l’ordre du jour est un moyen simple de canaliser les débats. Mais outre le fait que l’AGNU « peut discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la [présente] Charte (…) » (article 10), le principe d’égalité garantit que chacun puisse y prendre part, y compris les micro Etats. La détermination de l’ordre du jour obéit ainsi à des règles libérales (p. 94). Mais si de plus en plus d’Etats ont la volonté et le pouvoir de prendre part aux débats qui engagent la société internationale, l’ordre du jour pléthorique de l’Assemblée (largement plus d’une certaines de points inscrits à ses sessions), ne permet pas de dégager de grands axes de réflexion et perpétue l’impression fâcheuse et paradoxale de dispersion, sur un fonds d’incantations revenant d’année en année.
Que penser de l’Assemblée générale?
A la lecture de l’ouvrage, une réponse circonspecte et balancée s’impose, à l’instar de celle de certains contributeurs (p. 277 par ex.) ou encore de Franck Petiteville et Simon Tordjman dans une conclusion à laquelle on souscrit très largement. Aussi acquis à la cause des Nations Unies qu’on puisse l’être, les motifs d’irritation ne manquent pas et nourrissent l’aspiration à de sérieuses réformes.
Néanmoins, pour une appréciation plus juste de l’institution, repartons de quelques évidences dont on ne tire pas toutes les implications. Le chemin vers l’universalité de l’Assemblée générale a modifié les équilibres régionaux depuis 1945. Ainsi, en 2020, l’Afrique et l’Asie comprennent chacune presque le double d’Etats membres que le groupe Europe de l’Ouest et autres (Tableau 1, p. 40). L’appréciation de cette institution impose dès lors de prendre en compte celle qu’en a le « Sud global ». Or pour la « masse des petits Etats » (Etats peuplés de moins de 10 millions d’habitants qui sont au nombre de 105), l’Assemblée générale est toujours le forum le plus légitime et le plus important, comme cela est rappelé à juste titre (p. 286). Pour en devenir membre, un Etat devait, aux termes la Charte (article 4) , être pacifique, accepter les obligations qu’elle pose, être capable de les remplir et disposé à le faire, au jugement de l’organisation. Avec les vagues d’adhésions liées à la décolonisation, ces conditions seront réputées remplies par les candidats, plutôt que soigneusement pesées par l’Organisation. Il en résulte que si l’adhésion à l’ONU est bien « la manifestation de la reconnaissance de la souveraineté externe des Etats » (p. 36), les Nations Unies seront conduites à endosser la responsabilité d’aider nombre d’Etats petits ou non, sous-développés, vulnérables, insulaires, défaillants etc., à maintenir ou développer leur capacité à être des sujets de droit, tout en adaptant, dans certains domaines, le droit à leurs besoins. En d’autres termes, les Nations Unies sont ce qu’en font les Etats, autant qu’elles soutiennent nombre d’entre eux à conserver cette qualité au nom des principes de souveraineté, d’égalité et d’indépendance.
L’action de Assemblée générale est une action en profondeur qui s’inscrit dans le temps long, sauf rares exceptions. En retour, dans cette maison « commune », tous les Etats ont vu, peu ou prou, leur ordre interne imprégné des valeurs de la Charte, que l’Assemblée générale a portées et développées de différentes façons. Face aux Etats récalcitrants ou tentés de faire marche arrière, comme on le voit trop souvent aujourd’hui, les populations, dans quelque région du monde que ce soit, de Kiev ou de Minsk, à Beyrouth, de HongKong à Santiago du Chili, revendiquent, comme leur appartenant, la reconnaissance ou la sauvegarde de ses valeurs. Comme Antonio Guterres peut l’affirmer, la Charte est désormais centrée sur l’être humain, ce qui n’est pas au goût de certains Etats.
La situation des « puissants » tend également à évoluer. La figure 2 (chapitre 2, p. 48) est très instructive. Bien qu’on puisse regretter l’absence d’actualisation, les chiffres de 2013 relatifs à la taille des dix premières missions permanentes, réservent des surprises. A cette date, l’Allemagne se situait en troisième position, après les Etats-Unis et la Russie, devant la Chine (4ème), laissant derrière elle le Royaume-Uni (8ème), et la France (9ème), laquelle prenait place juste devant l’Australie (10ème). Entre la Chine et le Royaume-Uni, figuraient en bonne position le Japon, le Brésil, Cuba et la Corée du Sud. On voit les dix Etats qui se donnent les moyens de leur influence aux Nations Unies. Cela pourra peut-être avoir une incidence sur un nouvel élargissement du nombre de sièges des non-permanents au Conseil de sécurité (dans le même sens voir, p. 289).
La mission de l’Assemblée générale est d’organiser la coopération des Etats dans tous les domaines qui touchent à la vie des peuples et des individus. Il est donc essentiel que l’Assemblée générale ne laisse pas le principe d’égalité souveraine de ses membres (article 2 paragraphe 1) et le principe de non-intervention « dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat » (article 2 paragraphe 7) prendre indûment le pas sur la réalisation de ses buts. Cela implique qu’on sache en permanence y dialoguer de bonne foi.
L’Assemblée générale face aux défis du XXIème siècle
Une nouvelle fois dans leur histoire, les Nations Unies sont à la croisée des chemins, dans un contexte plus sombre et complexe que jamais, « un monde sens dessus dessous » comme l’a dit le Secrétaire général[10], guetté par une « Grande Fracture » séparant deux mondes alignés sur les deux grandes puissances mondiales, « aux dépens d’un monde multipolaire, certes, mais relevant d’un système universel »[12]. Dans leur conclusion, Franck Petiteville et Simon Tordjman soulignent avec raison qu’à présent « c’est toute la détermination collective des Etats à décider, ou non, de maintenir l’ONU au centre de la diplomatie mondiale au cours des décennies à venir qui est en jeu. » (p.289). Derrière cette interrogation, se posent deux problèmes différents, l’un qui concerne le Conseil de sécurité, l’autre l’Assemblée générale elle-même.
Les relations entre le Conseil de sécurité et l’ Assemblée générale (articles 11 et 12 de la Charte), mériteraient une analyse spécifique. On se contentera de rappeler que, par le passé, l’Assemblée générale a su pallier sa paralysie par le veto. Depuis, réapparaît périodiquement l’espoir d’un remake de la résolution Acheson (377 (V)), mais sans succès (pp. 137-138). Or, les périodes de paralysie du Conseil de sécurité sont de moins en moins comprises et acceptées. Elles détournent des Nations Unies, stigmatisées pour leur impuissance. Il devient urgent sinon impératif de penser à des contrepoids, à défaut de l’hypothétique réforme du Conseil de sécurité ou de l’encadrement de l’exercice du veto. L’Assemblée générale a à sa disposition des moyens qu’elle peut utiliser comme levier pour se faire l’avocat du respect, par le Conseil, des obligations qui lui incombent en vertu de la Charte, autrement dit l’avocat du respect du droit et non de ses abus. Ou encore l’expression d’une opinion publique internationale, en exerçant une pression politique sur le Conseil de sécurité. Ce dernier ne s’est vu conférer par les membres de l’ONU la responsabilité principale du maintien de la paix, qu' »afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation (…) »(article 24). L’article 10 de la Charte déjà cité, autorise l’Assemblée à discuter, aussi, de toutes questions ou affaires » se rapportant aux pouvoirs et fonctions de l’un quelconque des organes prévus dans la [présente]Charte » et formuler des recommandations aux Membres, au Conseil de sécurité ou aux deux. La réserve de l’article 12, qui empêche l’Assemblée générale de faire aucune recommandation tant que le Conseil de sécurité remplit les fonctions qui lui sont attribuées, ne peut empêcher celle-ci d’attirer, en amont, son attention ou de traiter, en aval, d’un point de vue général, de problèmes graves révélés par un conflit ou une menace à la paix, comme le prévoit l’article 14. Les avis consultatifs que l’Assemblée peut demander à la Cour internationale de Justice, peuvent également être mis à contribution. En d’autres termes, il serait bon que l’Assemblée générale fasse un usage plus affirmé et responsable de ses compétences face au Conseil de sécurité, dont le pouvoir, pour discrétionnaire qu’il soit, ne peut être arbitraire.
De son côté, l’Assemblée générale est confrontée à des difficultés d’un nouvel ordre. Sans prétendre à l’exhaustivité, on en citera trois: la nature des urgences, la mobilisation qu’implique leur traitement, l’atomisation – et donc la concurrence- des lieux de délibération et de décision.
Les urgences de ce siècle touchent à à la sauvegarde de nos conditions de vie et de développement. Un sondage commandé par le Secrétaire général à l’occasion du 75ème anniversaire atteste de nouvelles craintes mondiales, qui débordent les domaines de coopération prévus. Nature et environnement sont à la peine à l’échelle planétaire. Le progrès, aujourd’hui, est moins d’aller aveuglément de l’avant, que de limiter les dégâts d’un développement inconscient et insouciant des dommages occasionnés, comme les nouveaux risques qu’il engendre, et – si possible – de les réparer ou de les circonvenir. Des actions urgentes, touchant à des questions aussi diverses que la pollution des océans, l’exploitation et la protection des forêts, la cybercriminalité, la biodiversité et tant d’autres, sont à l’agenda international, en même temps qu’il ne faut rien céder sur les ODD qui marquent le pas ou sur les droits humains, en recul ou sur la défensive, ou encore sur le droit international humanitaire ouvertement bafoué. A nouveau, une tâche titanesque est devant nous, sous la menace destructrice de la pandémie de Covid-19. Le traitement de ces questions appelle une mobilisation encore plus large de la société civile internationale, incluant des acteurs différents (scientifiques, industriels, firmes multinationales, presse etc.), bref une mobilisation générale, la coopération plus poussée entre l’ONU et tous les réseaux d’organisations régionales et sous régionales qui constituent le maillage de la société internationale. Et le soutien des peuples.
Si l’ONU veut rester le centre d’une société internationale désormais très décentralisée, il lui faut toujours « [E]tre un centre où s’harmonisent les efforts des Nations vers ces fins communes » (article 1 paragraphe 4). L’heure est peut-être venue d’un aggiornamento du multilatéralisme, dont la finalité utile est moins normative aujourd’hui que fonctionnelle et programmatique. Peut-il, doit-il y avoir de nouvelles formes participatives, de nouvelles méthodes, de nouvelles règles de l' »agir ensemble »? Ces questions sont cruciales. mais plus encore celle de savoir qui, aujourd’hui, peut s’en emparer? Le Secrétaire général a bien vu le problème: « Notre monde est aux abois, stressé: il se cherche de véritables leaders prêts à l’action »[13]. Un décalage, ou un découplage, s’est fait jour entre leadership et puissance. Les puissants ne sont pas intéressés ou désireux d’assurer un leadership dans des domaines touchant à des biens communs. Ceux qui sont convaincus de cette urgence et prêts à assumer un leadership, ne se sentent sans doute pas suffisamment puissants. A moins que, dans cette enceinte mondiale qu’est l’Assemblée générale, puissent se rassembler des Etats de toute taille représentatifs de toutes les régions et de toutes les cultures décidés à former une Alliance pour l’action.
En guise de conclusion, un voeu
Devant les innombrables chantiers des temps présents, on voit quelle importance ont des études comme celle-ci qui, bien qu’affichant une certaine modestie, nous informent avec précision et rigueur sur l’état des choses et ses dynamiques, élèvent la réflexion, la stimulent et la mettent en perspective. Si l’on veut que l’Université et plus largement la recherche scientifique puissent pleinement remplir cet office, on doit souhaiter revenir à une pratique étatique et diplomatique qui avait permis, justement, à un éminent universitaire comme Michel Virally – et d’autres – de faire partie pendant des années, des membres de la délégation française aux sessions de l’Assemblée générale. La doctrine juridique française qui, pour la première fois, n’est plus représentée à la Commission du droit international depuis sa création, comme la doctrine politiste, doivent pouvoir nourrir leurs travaux d’une observation directe et régulière de la pratique internationale.
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[1] Professeur émérite de l’Université Paris Nanterre, spécialiste de droit international public, ancienne vice-présidente de l’AFNU (2014-2020). Les propos de l’auteure n’engagent qu’elle et non l’institution dont elle est membre.
[2] Une visioconférence sur l’Assemblée générale, animée par Simon Tordjman, a été organisée à l’occasion de la publication de l’ouvrage dans le séminaire de rentrée du GRAM (Groupement de Recherches sur l’Action Multilatérale, du CERI-Sciences Po), structure labellisée et financée par le CNRS depuis le 1er janvier 2020. Etaient invités Alexis Lamek, Directeur général adjoint des Affaires politiques et de sécurité au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, précédemment Directeur des Nations Unies et des organisations internationales, des droits de l’Homme et de la Francophonie (2017 à 2019), Antoine Madelin, Directeur du plaidoyer international au sein de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et Sandra Szurek, professeur émérite de l’Université Paris Nanterre, spécialiste de droit international public, ancienne vice-présidente (2014-2020) et présidente du Collège académique de l’Association française pour les Nations Unies (AFNU). On peut retrouver ces échanges à partir du lien:
[3] Allocution de Monsieur Antonio Guterres devant l’Assemblée générale, le 22 septembre 2020, Doc. SG/SM/20267.
[4] Au nombre de six (article 7 par.1 de la Charte). Outre l’Assemblée générale, énumérée en premier lieu, un Conseil de sécurité, un Conseil économique et social (ECOSOC), un Conseil de Tutelle, une Cour internationale de Justice et un Secrétariat. En outre peuvent être créés des organes subsidiaires (article 7 par.2).
[5] V. Jean-Pierre Cot, Alain Pellet et Mathias Forteau, La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, Paris, Economica, 3ème édition, 2005, 2 vol.
[6] A l’exception de la Chronique annuelle sur les travaux de l’ONU de l’Annuaire français de droit international (AFDI). Cependant la doctrine a récemment porté un intérêt d’envergure aux organisations internationales dans leur ensemble. Voy. Evelyne Lagrange et Jean-Marc Sorel (Dir.), Droit des Organisations internationales, Paris, LGDJ, 2013, 1197 p.
[7] Ce qui fait le prix d’ouvrages plus « militants » soucieux de défendre la cause de l’ONU. Voy. Anne-Cécile Robert, Romuald Sciora, Qui veut la mort de l’ONU?, Préface de Pascal Boniface, Editions Eyrolles, Paris, 2019, 192 p.
[8] D’une autre nature encore, nourri de l’expérience de son auteur, Voy. Le Conseil de sécurité, ambition et limites, de Jean-Marc de La Sablière, Ambassadeur de France, ancien Représentant de la France au Conseil de sécurité, Bruxelles, Editions Larcier, 2015, 351 p. (pour la première édition).
[9] On rappellera que L’Assemblée générale a un très large pouvoir délibératif ( article 10), le pouvoir de voter le Budget de l’Organisation, de décider du financement de ses activités opérationnelles, les opérations de maintien de la paix (OMP), de demander des avis consultatifs à la Cour internationale de Justice, pour son propre compte ou celui d’autres organisations. Enfin, l’Assemblée participe à l’élection d’autres organes, seule ou avec le Conseil de sécurité (Secrétaire général; membres non permanents du Conseil de sécurité; juges à la Cour internationale de justice; membres de la Commission du droit international etc.). En campagne électorale permanente, l’Assemblée a ainsi un rôle central dans le jeu des équilibres institutionnels. Enfin, les rapports transmis par les différents organes lui permettent d’avoir une information sur l’ensemble de l’Organisation.
[10] L’opposition esquissée entre une AGNU, « face la plus ouverte de l’architecture onusienne » et le CSNU siégeant dans une salle « enfouie dans les sous-sols de l’édifice et impénétrable aux regards extérieurs » (p. 19) est déjà éloquente.
[11] Allocution devant l’Assemblée générale, 22 septembre 2020, doc. SG/SM/20267.
[12] Assemblée générale, 74ème session, doc. AG/12183, 24 septembre 2019.
[13] Doc. ONU, SG/SM/20267.